Victoire des islamistes en 2012 : l’Armée algérienne peut-elle répéter Juin 92 ?
L’Armée
algérienne peut-elle, comme elle l’a fait en juin 92, interrompre le
processus électoral des législatives de 2012 en cas de victoire des
islamistes qui ont déferlé sur la Libye pour laquelle le CNT promet la
chari'a, sur le Maroc qui a désormais un chef de gouvernement issu du
PJD, et sur Égypte tombée aux mains des Frères musulmans coursés par
les salafistes du parti Al-Nour ?
C’est la question que se pose indirectement
Jeune Afrique dans son édition du 12/12/2011 sous le titre "Comment
le pouvoir algérien perçoit-il la percée des courants religieux en
Libye, en Tunisie, au Maroc et en Égypte?" L’article fait remarquer
que l’Algérie a salué ces "Révolutions" pour "la réussite de leur
processus électoral respectif" sans aucune allusion faite aux
vainqueurs, les islamistes dits "modérés" en Tunisie et au Maroc, Frères
musulmans et Salafistes en Egypte proches idéologiquement dans tous les
cas de figure de l’ex-Fis sorti vainqueur des premières législatives de
l’Algérie post 88. "En réalité, écrit Jeune Afrique, ce
qui semble gêner Alger dans la montée de l’islamisme au Maghreb est le
précédent du 11 janvier 1992, quand l’Armée algérienne a interrompu,
entre les deux tours, les élections législatives pour éviter un
raz-de-marée islamiste." L’article appuie cette analyse par les
propos d’une source militaire anonyme, un général des services de
renseignements impliqué dans l’interruption du processus électoral de 92
dont les réponses, vingt ans après les faits, ne s’appuient pas sur la
dimension politique de l’arrêt au premier tour des législatives,
insistant sur son "lointain" passé comme pour souligner l’obsolescence
d’une telle décision, d’un sursaut révolutionnaire bis qui paraîtrait,
dans le contexte de la légitimité islamiste du Printemps arabe
anti-démocratique, et jugé à l’époque salutaire par la société civile: "C’était
il y a vingt ans, se défend un général des services de renseignements,
une autre époque, un autre siècle. Nous sommes intervenus car le
caractère républicain de l’État était menacé par un Parlement à chambre
unique promis à un parti qui, au lendemain du premier tour, avait
prévenu les Algériens qu’ils allaient devoir changer d’habitudes
alimentaires et vestimentaires." La même source pense qu’un tel
scénario n’est plus possible en Algérie pour le simple motif que "Aujourd’hui,
une telle menace n’est plus possible pour une raison bien simple: il
existe une deuxième chambre (le Conseil de la nation, faisant office de
Sénat) qui empêcherait toute dérive ou tentation d’instaurer une
République islamique." L’orateur anonyme admet donc que l’objectif
de l’armée dans l’interruption du processus électoral de 92 était
d’éviter l’instauration d’une République islamiste par l’ex-Fis non
cités dans ses propos. Pourtant, l’instauration de cette République
islamiste est un objectif, pour lequel travaille ouvertement Bouteflika,
depuis son investiture en 1999 : politique de concorde civile,
coalition présidentielle d’obédience islamiste, dialogue en coulisses
avec les anciens chefs terroristes de l’AIS et du GIA, contrôle et
exploitation des mosquées. " Est-ce à dire que l’armée exclut toute
intervention en cas de victoire islamiste en Algérie? " telle est
la grande énigme des législatives de 2012 ou des Présidentielles de
2014, rendez-vous électoraux que les islamistes de Bouteflika appellent à
anticiper, avançant l’argument de l’accélération des révolutions
arabes, sous-entendu l’instauration des "républiques islamistes" dans le
Maghreb.
Jeune Afrique n'en donne pas une réponse
claire mais laisse entendre que le scénario de 92 ne peut se reproduire,
s’appuyant, toujours, sur les propos de la source militaire "En
2004, déjà, poursuit notre interlocuteur, le chef d’état-major de
l’époque [le général Mohamed Lamari, NDLR] avait exclu cette possibilité."
Face à un effet
de contagion islamiste sur les législatives de 2012, l’armée algérienne
ne pourra donc faire barrage à la même « République islamiste » de
l’ex-Fis ? Selon Jeune Afrique, il ne faut pas prendre pour argent
comptant le fait que les partis islamistes agréés et intégrés et
associés dans les instances décisionnelles de l'Etat ont été domptés: "Les
islamistes de la coalition présidentielle ne sont pas partie prenante
du pouvoir (...) seulement des associés." Ce qui expliquerait
l’attitude frondeuse du chef du MSP, Bouguerra Soltani et son appel à
une "union des partis islamistes" se préparant sans doute à
plus d’autonomie dans la perspective de 2012 mais sans perdre pour
autant ce privilège de statut d’ "associé" de Bouteflika.
Mais, dans
cette logique, comment expliquer le plébiscite par les députés de
Bouteflika du fameux article 4 de la loi organique sur les partis
portant sur "l’interdiction à toute personne responsable de
l’exploitation de la religion ayant conduit à la tragédie nationale de
fonder un parti politique ou de participer à sa création" ait été
adopté. C’est d’abord une "phobie" de Bouteflika qui l’a inscrite dans
une formulation vague et imprécise. Est-ce l’ "exploitation de la
religion" qui a conduit à "la tragédie nationale" pour
laquelle il s’est posé en sauveur ? Cela sous-entend que l’instauration
d’une République islamiste telle que voulue par l’ex-Fis sans, cette
fois, une autre tragédie islamiste dont il croit avoir refermé les
plaies par la concorde civile est désormais possible et même souhaitée.
Ce sont là les non-dits de la formulation de l’article. D’autant que, à
maintes reprises, Bouteflika a dit regretter que l’ex-Fis ait été
interdit avant son investiture. Le rappel de ces déclarations est venu
de Farouk Ksentini, Président de la CNCPPDH qui, en vérité, n’a
pas jeté un pavé dans la mare quand il a déclaré "Je ne pense pas
que Bouteflika soit contre le retour de l’ex-Fis", estimant que les
anciens du parti dissous" qui n’ont pas été condamnés par la justice "ont
le droit de militer dans un nouveau parti politique" démontrant
ainsi la fragilité juridique et la caducité politique de cet article 4.
D'anciens dirigeants du FIS dissous, comme Ali Benhadjar et Hachemi
Sahnouni, bénéficiaires de la loi de la concorde civile ont exprimé,
leur volonté de créer un nouveau parti. Alors faut-il voir dans cet
article la volonté d'un possible remake d’un arrêt du processus
électoral des législatives de 2012 par l’Armée si d’aventure les
islamistes en sortiraient vainqueurs.Ce qui voudrait dire qu’elle ne
ferait pas barrage à la République islamique du parti dissous, mais au
projet islamiste de Bouteflika bâti sur une corruption systémique et un
népotisme rentier desquels les généraux de la Grande muette ne sont pas
exempts…
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