ALGERIE. Législatives : le boycott pour seul moyen d'expression
Créé le 10-05-2012 à 10h20
- Mis à jour le 11-05-2012 à 07h12
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Lassés par la vie chère, les Algériens, appelés à renouveler leur Parlement, préfèreront sans doute le silence de l'abstention pour protester contre la classe politique
Mots-clés :
Algerie, Alger, legislatives, Bouteflika, boycott, FLN
Aux terrasses de cafés, dans les allées des universités, dans les
rues, la population algérienne est plus occupée à commenter l'élection
du nouveau président de la République française et à s'insurger contre
le prix de la pomme de terre qu'à débattre de leurs propres élections
législatives qui ont lieu ce jeudi 10 mai. D'ores et déjà, la presse
algérienne annonce un grand vainqueur : l'abstention. En 2007, le taux
officiel de participation ne dépassait pas les 37% et le phénomène
risque de s'amplifier.
Plus d'un an après les manifestations qui avaient éclaté dans le sillon
de la révolution tunisienne, les Algériens sont toujours gagnés par le
fatalisme et la lassitude malgré la présence de 44 partis au scrutin,
dont 23 nouveaux. Préoccupés par un quotidien émaillé de grèves, minés
par une inflation galopante, hantés par une guerre civile qui a
traumatisé plusieurs générations, désabusés par des décennies de fraudes
électorales, les Algériens se détournent d'un système politique qu'ils
estiment verrouillé et incapable de se réformer. La campagne s'est
achevée dans une indifférence générale et certains meetings ont été
annulés... faute de participants.
Le désenchantement est bien ancré et le pouvoir tente de convaincre
–parfois violemment- que le pays est en train de changer. Les partis
islamistes de leur côté espèrent profiter du succès des formations
islamistes dans les pays voisins, au Maroc et en Tunisie pour se placer
comme principale force d'opposition.
A la recherche d'une crédibilité
Le régime au pouvoir compte pourtant sur ce scrutin proportionnel à
un tour pour asseoir une légitimité depuis longtemps perdue et baliser
la présidentielle de 2014. Il cherche, à travers ces législatives, à
consolider les réformes entamées pour contenir la vague des révoltes
arabes. Suppression de l'état d'urgence en février 2011, révision de la
Constitution, loi sur les partis, sur les associations, nouveau code de
l'information... autant de mesures censées calmer les mécontentements
qui éclatent un peu partout. Le pouvoir a aussi arrosé de son
bas-de-laine - confortable grâce à la rente pétrolière -toutes les
corporations garantissant le statu-quo mais sans jamais réussir à
convaincre.
Le président Abdelaziz Bouteflika lui-même, comme dans un dernier
souffle, a tenté mardi 8 mai de mobiliser la jeunesse à ce
rendez-vous électoral, allant jusqu'à exprimer clairement son désir
de quitter la vie politique. De passage à Sétif pour commémorer la
répression du 8 mai 1945, il a répété par trois fois : "Je m'adresse aux
jeunes qui doivent prendre le relais, car ma génération a fait son
temps. Après avoir libéré le pays et participé à son édification,
l'heure de la retraite a sonné pour les anciens [...] Les gens qui ont
libéré le pays vous disent que nous n'avons plus les forces pour
continuer. Le pays est entre vos mains, prenez-en soin." Le chef de
l'Etat a d'ailleurs comparé l'enjeu de ces élections au 1er novembre
1954, date du début de la guerre d'indépendance ! Cinquante après la fin
de la guerre d'Algérie, les mots sont graves comme si le pouvoir jouait
sa survie.
L'implication du président de la République dans une campagne pour
les législatives révèle le désarroi d'une équipe dirigeante aux abois.
Au Parlement, son parti le FLN, tiraillé par des tensions internes, a
perdu de l'influence sur la scène algérienne. Une importante campagne
d'incitation au vote a été organisée dans tout le pays. Des SMS ont été
envoyés sur les portables, des arrestations et des poursuites pénales
ont été engagées à l'encontre de citoyens qui ont appelé au boycott des
élections.
Arrestations
L'organisation Human Rights Watch (HRW) s'est alarmée le 9 mai de
l'interdiction faite aux Algériens de manifester contre la tenue de ce
scrutin. "Si les autorités algériennes ont vraiment l'intention de
respecter les droits humains et les réformes démocratiques, elles
devraient assouplir les lois pour montrer qu'elles ne craignent pas de
laisser les Algériens exercer leur droit de rassemblement", a déclaré
dans un communiqué Sarah Leah Whitson, directrice de la division
Moyen-Orient et Afrique du Nord de l'organisation internationale.
Lorsque qu'une manifestation est considérée comme politiquement
sensible, "les forces de sécurité bloquent l'accès à l'endroit prévu
pour le rassemblement", explique HRW. "Puis elles y pénètrent pour
disperser tous ceux qui ont réussi à atteindre l'endroit, arrêtant
certaines personnes et les transportant vers les postes de police, où
elles sont détenues plusieurs heures avant d'être relâchées."
Mais les menaces n'y font rien, de nombreux Algériens ont décidé de
faire du boycott leur seule arme politique.
L'abstention comme moyen d'expression
Les raisons du rejet sont nombreuses. Le quotidien "El Watan" explique dans son édition du 9 mai que "l'Assemblée
populaire nationale ne pouvait avoir meilleure image en détournant le
regard des problèmes de fond : la corruption, le régionalisme, les
passe-droits, le non-respect des libertés, les atteintes aux droits de
l'homme (...). l'Assemblée asservie et sans contenance a fini par agacer
les Algériens qui n'ont que faire d'une institution qui n'est ni plus
ni moins qu'une source de rente et une voie pour l'affairisme". Pour
beaucoup, la séparation des pouvoirs n'est qu'une vitrine. Les députés
sont accusés d'obéir aux politiques du gouvernement lui-même dirigé dans
l'ombre par les militaires et les services de renseignements.
Battre l'abstention de 2007, voilà le mot d'ordre de ceux qui
appellent au boycott. Cet appel est porté par des personnalités
influentes. "El Watan" cite en premier lieu le militant des droits de
l'Homme Ali Yahia Abdenour qui, dans une tribune au quotidien, estime que "la
priorité politique absolue est le boycott". Ou encore Maïssa Bey, grande
figure de la littérature algérienne, qui expliquait au "Journal du Dimanche" le 6 mai
dernier qu'elle n'ira pas voter : "Ce serait faire le jeu du régime,
faire le jeu du clientélisme et de la corruption."
Mais ce sont aussi des anonymes qui remportent les suffrages du
boycott. Sur les réseaux sociaux, les jeunes se sont mobilisés il y a
quelques jours contre l'arrestation du cyber-activiste Tarek Mameri qui
appelait à coup de vidéos postées sur YouTube au boycott des élections.
Fin avril, le ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, a mis en garde
ceux qui encourageraient le boycott des élections. Il a déclaré que "des
sanctions sévères seront appliquées envers toute personne" qui nuirait à
la crédibilité des prochaines élections. Pourtant, aucun article de loi
algérien n'interdit l'appel au boycott.
- Une des vidéos de Tarek Mameri :
Libéré le 4 mai, en attente d'un jugement, le web reste actif.
Sur Twitter, certains ont créé le hashtag #10MaiToz,
comme pour souligner que ces élections ne changeront rien à leur vie
quotidienne.
?
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